Torre (AC Ajaccio): « Pas là par hasard », le club corse continue d’écrire l’Histoire
Après Valenciennes, l’AC Ajaccio était devenu le deuxième club professionnel de football en France à posséder sa propre section de Futsal. Placé notamment sous la direction de Michaël TORRE, le club corse écrira à nouveau l’histoire du futsal français, en devenant cette saison le premier club de football accédant à l’élite du futsal français. L’occasion pour MadeinFutsal de faire un peu plus connaissance avec Michaël TORRE – justement – qui a accepté d’en dire plus sur le projet ajaccien.
MadeinFutsal: Pourriez-vous vous présenter en quelques mots, pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
Bonjour , je suis Michael Torre, responsable de la section Futsal de l’AC Ajaccio . Mon aventure dans le Futsal a démarré en 2005 . Avec un ami nous avons entendu parlé d’un club de Futsal qui s’était créé tout récemment dans la région . Le Futsal Club d’Alata. J’ai intégré l’équipe en tant que gardien . En effet, j’ai été formé au poste de Gardien au Football à 11 jusqu’en Catégorie moins de 18 ans . J’ai pris rapidement part à la gestion associatif d’Alata Futsal. Un grave accident en 2009 m’a fait subitement arrêter le sport. J’ai pris plus de responsabilité dans l’association pour en devenir le président en 2011. Il y a 3 ans, nous avons eu l’opportunité de devenir la section Futsal de l’AC Ajaccio, section dont j’ai pris la direction au sein du club . En dehors du Futsal, je suis gérant d’un commerce dans la restauration et l’évènementiel.
« Nous n’avons jamais lâché … nous sommes partis de rien »
Quelle a été l’évolution du club à sa création jusqu’à devenir l’AC Ajaccio ?
Le club a été créé en 2005. Le futsal, à cette époque, était quasiment inconnu en France, mais encore plus sur l’île. Nous avons tout connu. Notamment les batailles pour faire entendre que nous étions un vrai sport de salle, et être entendus en terme de demandes de créneaux . A cette période, le futsal n’était pas une priorité en tant que « nouvelle discipline ». Nous n’avons jamais « lâché » avec mon ami de Bastia Agglomération Futsal, Jean Charles Dottel: création de commission au sein de la ligue , créations des compétitions , formation des arbitres . Nous sommes vraiment partis de rien. Nous sommes même passés quelques années sous l’ancienne UNCFS dépendant de l’AMF (ndlr: Association Mondiale de Futsal) car à l’époque la FFF avait d’autres priorités, chose que je peux comprendre avec le recul.
« Notre île transpire le sport »
On a su continuer à faire vivre nos clubs respectifs sur l’île, avec toutes les contraintes géographiques et structurelles que cela comporte . C’est également notre force . Notre île transpire le sport en général . Malgré peu de moyens, nous arrivons à déplacer des montagnes, avec nos qualités et nos défauts, comme partout sur le continent. Le tout à l’aide de passionnés et de bénévoles. Alata Futsal, depuis sa création, avait toujours engagé une équipe en championnat régional, et ce même jusqu’il y a 4 ans, avant de passer sou la bannière rouge et blanche. Nous avions participé également au championnat national UNCFS il y a 10 ans, puis à un barrage d’accession de D2 il y a 6 ans, sous l’effigie de la FFF.
Avec l’AC Ajaccio, « convaincu d’un combo gagnant-gagnant »
Il y a un peu plus de 3 ans, des discussions ont débuté avec les dirigeants de l’AC Ajaccio, qui avaient pour projet de développer des sections autres que le football rattaché à la Fédération Française de Football .Après les avoir rencontrés, nous étions convaincu que le combo ne pourrait être que gagnant- gagnant. Notre seule demande aura été de reconduire la même équipe dirigeante d’Alata Futsal au sein de la section futsal de l’ACA. Nous prônons depuis toujours que le futsal est un sport à part entier. Certes dérivé du football, mais tellement différent. Il était important à mes yeux que, même avec la passion que j’ai pour le football, celui ci n’absorbe pas notre sport qu’est le futsal. Ils nous ont fait confiance et nous travaillons très dur depuis 3 ans pour rendre cette confiance que le club nous a accordée. Je suis fier de dire aujourd’hui que nous ne sommes pas simplement la section futsal de l’ACA, mais que nous sommes tout simplement l’ACA. Nous représentons des valeurs, une histoire. Avec des droits, mais surtout des devoirs . Le devoir d’être irréprochable et ambitieux .
« Pas une section de l’ACA, mais l’ACA »
Avec sa montée en D2 cette saison, l’AC Ajaccio est aujourd’hui le 1er club de football de l’histoire du futsal à accéder à l’élite. Cela doit-il ouvrir la voie à d’autres clubs à 11 selon vous ? Est-ce que cela revêt un symbole particulier à vos yeux?
C’est une très bonne question et un vrai sujet auquel nous devons tous réfléchir et répondre. Le monde du futsal doit être uni. Tout le monde doit avoir la parole. Beaucoup d’entre nous, petits dirigeants associatifs, maîtrisons bien mieux l’univers du futsal que la plupart des dirigeants de club de football professionnel ou même amateur. Soyons réalistes: je pense honnêtement que le futsal a besoin de structure professionnelle pour se développer.
« La meilleure solution n’est pas de créer de simples sections futsal dans des clubs pro … »
En tant que dirigeant qui aura pu voir l’évolution de la discipline depuis 15 ans, la meilleure solution n’est pas de créer de simples sections futsal dans des clubs professionnels, mais que ces structures professionnelles donnent la direction de leur section futsal à des associations de grandes qualités qui connaissent le futsal par cœur. Ces clubs à 11 en donneraient la responsabilité totale au sein de leurs entités, bien plus structurées, solides et visibles, ce qui attirerait à la fois partenaires et jeunes qui viendraient se former et auraient envie de faire du futsal dès le plus jeune âge. J’espère que nous serons des pionniers en la matière car on aime trop le futsal pour le dénaturer . Entre structure pro et association sportive de futsal, il est donc possible de s’allier. Il faut vouloir faire les choses bien, et avoir face à soi des interlocuteurs qui ont cette vision à long terme. Le futsal peut devenir une place forte au sein de la FFF. Créons ce lien de confiance et apportons-nous mutuellement . Je crois réellement à cette stratégie . Il faudra que ses structures pro ne dominent pas les assos de futsal amateur, mais qu’il y ait un apport mutuel. Du futsal dans une structure pro, géré par des amoureux du futsal qui en auront connu les débuts, j’y crois beaucoup . Je sais que c’est un sujet sensible. Il faut en discuter. Que tout le monde donne son avis et laissent les acteurs du futsal décider. Avec comme priorité de s’assurer d’avoir des interlocuteurs qui croient en cette discipline. A Ajaccio, nous avons eu cette chance, grâce à la direction du club .
« La méfiance puisera de l’énergie »
En France particulièrement, il y a cette méfiance réciproque entre clubs spécifiques futsal et foot à 11. Quels sont pour vous les ingrédients pour que ce mariage fonctionne ?
Être toujours dans un sentiment de méfiance nous puisera de l’énergie qu’on ne pourra pas investir dans nos clubs respectifs . Toutes les associations qui ont et font encore vivre le futsal sont en droit d’attendre des garanties pour un partenariat gagnant gagnant . Honnêtement, j’ai le plus grand respect et suis épaté par l’abnégation de ces nombreuses associations qui se battent au quotidien pour faire vivre le futsal, au niveau régional ou national . Il faut laisser le choix à toutes ces structures de décider de leur avenir, en fonction de leur capacité a moyen et long terme . Ça devient dur de se faire entendre, de trouver des financements . La visibilité des clubs de football peut et doit servir . Nous dépendons aussi de la FFF et de facto de la FIFA . Je suis de ceux qui prônent un futsal qui peut être géré par une structure ayant plusieurs disciplines: le football et le futsal. Les clubs de haut niveau sont devenus des entreprises. Ce n’est pas le football qui gérera le futsal, c’est l’entité commune qui gérerait le football et le futsal. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’entre aider et trouver des intérêts communs.
« Le futsal ne doit pas être géré par le football, mais par des structures qui comportent les deux disciplines »
Je comprend tout à fait que l’on puisse avoir peur de « perdre la main » sur une dizaine d’années d’investissements en laissant des structures de football « prendre le dessus » sur un sport auquel nous avons tous donné. Soit on continu d’être méfiants, avec le risque que les acteurs historiques soient mis de côté dans dix ans par les clubs pro. Soit certains clubs se sentent assez solides financièrement pour continuer à se battre, avec l‘obligation de se structurer et trouver des financements. Soit, comme nous l’avons fait, se servir de sa légitimité dans le futsal pour intégrer des sections pro de football, tout en continuant à le défendre, à tout donner et à l’aimer. Le but n’est pas de savoir qui a tort ou raison, mais le but ultime reste de développer notre discipline, de donner la parole à tout le monde et de permettre aux amoureux du futsal , joueurs et dirigeants d’avancer en gardant la même passion . Et puis, honnêtement, si on a toutes ces interrogations dans le petit monde du futsal, c’est aussi qu’on avance, qu’on gagne en crédibilité et visibilité, qu’on intéresse du monde. A nous de « la jouer malin » pour garder une légimité sur le futsal de demain .
« Garder une légitimité sur le futsal de demain »
Comment avez-vous réagit au cas Olympique Lyonnais, section futsal dans un club à 11 comme vous, présent cette saison en R2 après une année d’existence? Le développement du futsal doit-il forcément suivre ce modèle? (lire notre article)
L’Olympique Lyonnais. Encore un sujet pour le futsal. Voir un grand club s’impliquer dans notre discipline c’est bien. C’est que l’on devient attractif. Servons nous de cela pour en tirer du positif. Je n’ai aucune autorité pour décider si c’est normal ou pas, n’étant ni en Ligue ou à la Fédération. Mon avis reste le même sur le sujet l’alliance entre futsal et structure professionnelle. Je milite plus pour que ces gros clubs donnent la responsabilité de leur section à des associations qui ont de la légitimité de par leur engagement dans le futsal, plutôt que la création de sections a l’intérieur de leurs clubs, à partir de rien. Cela n’aurait pas créé ce sujet polémique, car ils auraientt démarré de la division occupée par l’association qu’ils auraient absorbés.
Après, je ne connais pas assez le dossier OL Futsal pour juger. Peut-être ont-il donnés les reines à de vrais passionnés du futsal. Si ce n’est pas le cas c’est leur choix. On pourra discuter autant que l’on voudra sur ce sujet, mais il est un fait que les structures professionnelles arrivent. Leur puissance va les aider. Soit on la joue « malin », en leur prouvant qu’on est à même de développer leur projet grâce à notre expérience. Soit on boude et on se fera très vite dépasser. Vous voulez la recette ?: il faut monter un dossier cohérent , ambitieux, taper à la porte de ces structures et leur exposer notre vision. Leur montrer en quoi ils doivent nous faire confiance. Affirmer nos idées et leur prouver que nos intérêts peuvent être commun .
L’avenir du futsal doit-il passer par le football ?
Non, ce n’est pas comme cela que je le dirai. Ce sont deux sports complémentaires mais différents. Cependant, je pense que pour avancer et se professionnaliser, le fait d’intégrer des structures professionnelles reste un vrai sujet . Le futsal ne serait pas du football, mais intégrerait une entité dans laquelle le football resterait une discipline et le futsal une autre.
« Pas là par hasard »
Revenons à l’AC Ajaccio. Quels sont les ambitions à moyen et long terme du club ? À court terme, le club accède à la D2. Quelles sont vos ambitions dans ce championnat ?
A court terme, et sans hésitations, l’objectif sera le maintien au niveau national. Je suis lucide et j’assume absolument le fait de dire que nous avons eu une grande opportunité à cause de la situation sanitaire. Maintenant, cela fait aussi 15 ans que l’on se bat au quotidien pour la discipline. Nous ne sommes pas là par hasard. Ne brûlons pas les étapes: nous devons absolument ancrer durablement le futsal au sein de l’ACA et en solidifier ses bases pour pouvoir se projeter à moyen et long terme : encadrement , formation , infrastructures , école de futsal … Notre défi est d’être prêt et compétitif pour la reprise, tout en nous structurant de manière quasi professionnelle. En étant irréprochable . C’est un grand défi, nous ne pourrons pas réussir tout et tout de suite. Le travail est immense, excitant et motivant. Cela est une chance. Cela implique également des devoirs. Seul le travail et le sérieux paieront. Il est cohérent de dire qu’un club comme l’ACA veut aller le plus haut possible . Pour développer, former les jeunes et les féminines sur du long terme, le club a besoin d’avoir une équipe au moins en D2 . Cela sera toujours plus facile de créer des vocations pour former des jeunes, des féminines . C’est un ensemble. Cela prend du temps mais on est des bosseurs . On ne lâchera rien. Jamais.
« Nous devons être irréprochables »
Pensez-vous au professionnalisme à terme ?
C’est tout le mal que je souhaite à la nouvelle génération . Nous, dirigeants de clubs, avons un rôle majeur à jouer dans la structuration de nos clubs. Nous devons être irréprochables, travailler dur pour prouver aux partenaires, qu’ils soient institutionnels ou privés, que le futsal a de l’avenir. N’attendons rien sans avoir tout fait pour mériter l’obtenir . Nous devons donner envie aux acteurs du sport en France de s’investir dans le futsal. Se professionnaliser oui , mais continuer à se battre pour le futsal qu’on aime: le régional , le national. On doit penser à tout le monde. Devenir un sport professionnel sera primordial pour durer à long terme, mais n’oublions pas que sans le milieu amateur, il n’y a pas de professionnalisation possible . C’est dans ce sens que nous travaillons à l’intérieur du club.
« Fiers de notre identité »
Quelles sont les valeurs défendues par le club qui font aujourd’hui l’originalité d’un club comme l’AC Ajaccio ?
Je vais en décevoir certains qui attendent une réponse toute faite! L’originalité de l’ACA, comme celle de la ville d’Ajaccio ou de la
Corse, c’est la passion que dégage le monde du ballon rond. Avec si peu de moyens, on arrive à faire de grandes choses . Nous sommes des débrouillards qui savons aussi nous entourer de personnes de l’extérieur qui s’identifient à notre mentalité, à notre culture et qui nous amènent leur expérience. Nous misons énormément sur le centre de formation de football au sein du club et nous suivrons ce chemin pour la section futsal. Il faudra être patient mais c’est notre mission la plus importante . Nous sommes une ville de 70 000 habitants, le tout sur une île d’un petit peu plus de 300 000 habitants. Nous n’avons pas de grosses industries ou une économie comparable à certaines régions du continent. Nous devons donc nous appuyer sur des valeurs qui font ce que nous sommes: des insulaires, des méditerranéens, capables, ambitieux, avec des partenaires fidèles qui s’identifient au projet que nous leur proposons.
Que pouvez-vous dire à propos de cette identité qui fait la force du futsal corse ? En quoi le futsal de Corse est un futsal à part ?
Nous tenons à notre identité . Nous en sommes fiers et viscéralement attachés. Si je dois parler de la Corse et des corses, je pourrais en parler des heures. A la fois belle et complexe. Je dis souvent « que l’on parle de vous en bien ou en mal, le tout est que l’on parle de vous« . Au-delà du futsal, le sport en Corse déchaîne les passions. Quand une petite île arrive, avec si peu de moyens, et dans beaucoup de sports, à rivaliser avec d’autres au niveau national, ce n’est pas par hasard . « Nous sommes qui nous sommes », avec nos qualités et nos défauts. Nous avons des valeurs que nous défendons et nous continuerons à les défendre. Nous ne sommes pas parfait mais nous le savons . Je préfère de loin l’imperfection avec des valeurs plutôt que l’inverse. Je ne vais pas m’attarder sur ce sujet , ce qui m’intéresse c’est le sport. La jeunesse. La passion. L’avenir de toutes les générations. L’unité que nous prônons à travers notre discipline .
L’avis de MadeinFutsal: Le débat football/futsal est de ceux qui mérite légitimement d’exister. L’exemple de l’AC Ajaccio est en somme un exemple très intéressant pour qui veut comprendre certains des enjeux actuels d’une discipline qui cherche à se définir. Si le futsal AMF/AFF/UNCF ne posera aucun débat, « celui » sous l’égide de la FFF pourra poser à nombre d’acteurs de ce futsal français de nombreuses interrogations quant à l’avenir de la discipline, ses valeurs et la manière de la promouvoir. L’exemple OL aura été un marqueur criant des différences de visions. Entre l’espoir des uns misant aveuglément sur les clubs de football, et les craintes de ceux –présents depuis le début– qui auraient peur d’être « dépossédés » par ce même football, l’exemple de l’ACA pourrait être une « troisième voie »: cette autre alternative entre ces deux visions radicalement opposées. Celle de vrais passionnés de futsal qui doivent avoir les reines sur le devenir de leur discipline, à l’intérieur d’un club de football. A condition que ce futsal, pour l’instant amateur et non bankable, y reste considéré comme une vraie discipline, un vrai sport. L’avenir le dira. L’initiative du futsal ajaccien mérite qu’on s’y arrête et mérite amplement de réussir. Lui qui a d’ores et déjà marqué l’Histoire du futsal français. Lui qui aura osé, réfléchi, innové et misé sur l’harmonie (possible) entre les deux sports. Un futsal amateur ajaccien qui se sera ouvert aux autres et un football d’Ajaccio qui aura saisi l’importance du futsal, tout simplement. Comme les valeurs de la belle Corse, faites d’ouverture, de partage, d’écoute … et de respect envers ceux qui aiment viscéralement le futsal.